Comment réglementer le prêt des livres numériques en bibliothèques ? Puisqu’un exemplaire permet d’être lu des dizaines, des centaines de fois, il semblait nécessaire aux éditeurs d’ajouter leur grain de sel.
Morceaux choisis du compte-rendu de la commission Bibliothèque numérique de l’Inspection générale des bibliothèques sur l’expérimentation PNB (Prêts Numérique en Bibliothèque).
La plupart des éditeurs se sont engagés à donner accès à l’intégralité de leur catalogue numérique, y compris aux nouveautés. Ils n’ont pas encore défini leurs offres respectives, mais on peut s’attendre à une pluralité de modèles. Un éditeur propose le modèle suivant pour les collectivités :
- le livre numérique est vendu au prix du livre broché
- l’achat d’un exemplaire permet 50 prêts en téléchargement, simultanés ou successifs
- la licence est accordée pour une durée d’1 ou 2 ans maximum;
- une commande correspond à l’achat d’un exemplaire
- les fichiers sont sous DRM.
Une initiative louable retombant toujours dans les mêmes écueils. Reprenons point par point.
Premier point : le livre numérique sera vendu aux bibliothèques au même prix que le broché, comprenez « l’exemplaire papier ». Pourquoi ce tarif ? Tous les éditeurs consentent à une réduction, même minime, du prix d’un livre numérique, pourquoi une bibliothèque devrait le payer plein pot ? Il faut savoir que lorsqu’un éditeur (ou un distributeur) vend un livre à destination dune bibliothèque, il doit concéder une remise de 9% sur le prix public afin de faciliter l’accès au savoir (préconisation de la loi Lang de 1982).
Les éditeurs seraient-ils frileux à l’idée de vendre moins cher un livre numérique dont le prix est déjà diminué comparé au papier ?
Second point : L’achat d’un exemplaire permet 50 prêts en téléchargement. Cette limitation contraint les bibliothèques à racheter un ouvrage numérique « au prix du broché » tous les 50 prêts. Alors oui, on ne lit pas l’intégralité des Rougon Macquart tous les jours mais prenez un best-seller comme un roman de Marc Levy qui réunit plus de 500 000 achats à chaque parution, combien de personnes l’empruntent en bibliothèques ? S’il est nécessaire de racheter un exemplaire tous les 50 prêts, autant dire que le numérique deviendra vite un gouffre financier sur certains ouvrages. D’autant plus qu’au troisième point on annonce que l’achat d’une licence doit durer au minimum 1 an (2 au maximum), même si cela leur coûte plus cher, les bibliothèques devront racheter un ouvrage tant que leur licence n’aura pas atteint sont terme.
Pourquoi cette obligation d’achat ? Encore une fois la réponse des éditeurs paraît simple. Les bibliothèques achètent à chaque fois plusieurs exemplaires papier d’un même ouvrage afin de pouvoir le prêter à plus de monde ; avec le numérique, un exemplaire suffit à des centaines de prêts. Les éditeurs seraient ainsi déficitaires à cause du numérique d’où la nécessite de favoriser des achats multiples pour les bibliothèques.
Dernier point : pour limiter les prêts numériques en bibliothèques, les DRM (Adobe) sont utilisés. Ils limitent la lecture à 50 fois, nombre à partir duquel le livre numérique devient obsolète et doit être racheté.
On peut comprendre l’usage d’une protection pur empêcher qu’un livre emprunté dans une bibliothèque soit copié puis distribué par l’utilisateur, mais à quoi bon nuire à la fonction première des établissements culturels ? D’autant plus que ces protections ne fonctionnent pas toujours de la meilleure façon qui soit au vu des témoignages des utilisateurs..
Ces problèmes de compatibilité ont poussé les utilisateurs à trouver des solutions pour faire sauter les protections Adobe, on trouve même une application permettant de le faire automatiquement en quelques clics.
Et pourquoi faire sauter les DRM ? Deux raisons :
Devant ces attaques répétées, Adobe réplique avec un nouveau DRM sensé donner plus de fil à retordre aux hackeurs répondant au doux nom de DRM Musclor. Lancé dès le mois de juillet, Musclor va semer le trouble chez les éditeurs de livres numériques et les fabricants de liseuses. En mettant à jour les outils créés par adobe avec cette nouvelle protection, tous les anciens livres numériques bénéficiant de l’ancienne « protection » vont devenir incompatibles. Les développeurs d’applications et les fabricants de liseuses devront donc mettre à jour leurs produits en conséquence…sauf qu’Adobe n’a toujours pas donné d’information à ce sujet. Dans 5 mois, tous les appareils non mis à jour ne pourront plus lire les eBooks commercialisés avec ce nouveau DRM.
Vous trouviez les DRM gênants ? Attendez de voir Musclor, autant dire qu’il porte bien son nom.
(Je vous conseille de lire à ce sujet l’excellent article d’Actualitté DRM Adobe : « des pratiques autocratiques déplorables » (Gallimard).)
Les éditeurs réagissent avec véhémence à cette nouvelle politique :
Cela me rappelle la décision d’Apple d’instaurer un prélèvement sur les ventes réalisées à l’intérieur des applications. C’est un choix unilatéral, effectué par une société en état de quasi monopole, et qui repose sur le même principe : on impose un choix, avec une communication proche du néant.
Alban Cerisier, responsable des développements numériques chez Gallimard.
Toutefois rappelons que les éditeurs ont choisi d’apposer ces protections, si un changement de politique est déplorable de la part de la firme Adobe, les éditeurs ont aussi une responsabilité vérifiant ainsi l’adage « tel est pris qui croyait prendre ». Il semble assez puérile de tirer sur la firme après avoir placé des protections sur leurs ouvrages en toute connaissance de cause et les sachant contraignant pour l’utilisateur. Rester à attendre des subsides de l’état ou une réglementation ne mène à rien quand l’innovation reste la seule solution vraiment efficace.
Une politique de l’autruche assez agaçante quand d’autres s’adaptent à ce nouveau mode de consommation, je pense ici à Bragelonne et ses livres lisibles sur tout support tournant autour des 5€. Un modèle autre très intéressant qu’il faudrait suivre est celui de Pottermore, un site dédié aux fans qui, en plus de permettre de s’immerger dans l’univers de J.K.Rowling, offre la possibilité d’acheter les livres numériques de Harry Potter dans une version adaptée à chaque support. Chacun peut ainsi choisir le format de fichier correspondant à sa liseuse.
Les éditeurs envisagent le livre numérique unilatéralement sans penser à ce que cherchent les utilisateurs. Rejeter la faute sur le méchant lecteur qui pirate un livre ne se justifie pas non plus. Face aux restrictions inter-support, le lecteur se retrouve comme un animal pris dans un piège à loup : soit il se ronge la patte soit il tente de déverrouiller la mâchoire de fer. Dans un cas il se sent floué, dans l’autre il commet un acte illégal car, après tout, le piège était là pour protéger le chemin.
Une porte semble pourtant s’ouvrir progressivement et orienter les éditeurs vers des solutions moins contraignantes pour le lecteur comme le marquage numérique des livres voire le retrait –utopique– pur et simple des DRM.
Cette décision ne peut donc avoir qu’un seul impact: intensifier les efforts des uns et des autres pour s’affranchir d’Adobe. Readium SDK[1] était déjà un pas dans cette direction, et il est évident que cette situation ne fera que renforcer le besoin de migrer vers Readium LCP ou des solutions sans DRM selon les cas
Hadrien Gardeur, cofondateur de la librairie Feedbooks.
Nda : Readium SDK vise à faciliter l’implémentation d’une solution de lecture en ligne pour l’ePub 3, en utilisant l’html 5.
Lire à ce sujet l’article de Florent Tallandier « Readium : le projet SDK pour la création de solutions ePub 3″
Il est très peu probable que les éditeurs renoncent à l’utilisation des DRM mais croisons les doigts et espérons que le livre numérique ne suive pas l’exemple du CD où toute une génération a pris l’habitude de télécharger illégalement des fichiers au lieu de se tourner vers des plateforme légale car l’usage des protections numériques était trop contraignant.